Europe - Le résultat des élections législatives : quelles conséquences sur nos institutions ?

 - Le résultat des élections législatives : quelles conséquences sur nos institutions ?

- Le résultat des élections législatives : quelles conséquences sur nos institutions ?

Par Par Pierre Egéa, professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole – Expert au Club des juristes - Club des juristes, premier think-tank juridique français. , le 23 Juin 2022

Les résultats du second tour des élections législatives ne permettent pas de dégager une majorité claire pour le parti présidentiel. Crédité de 246 sièges, la coalition Ensemble à laquelle appartient La République En Marche demeure la première force politique à l’Assemblée nationale, loin devant la Nupes (142 sièges), le Rassemblement national (89 sièges) et LR-UDI (64 sièges). Il convient de s’interroger sur les conséquences institutionnelles de cette situation politique nouvelle.

Les résultats sont-ils en mesure de susciter une « crise » du régime ?

Bien qu’elle ait été conçue pour mettre fin au régime (et à la toute-puissance) des partis politiques, la Constitution de la Vème République n’est pas aussi imperméable à la logique parlementariste qu’on veut bien le dire. L’habitude acquise de longue date par les Présidents de la République de disposer à l’Assemblée d’une majorité confortable et docile tolère quelques exceptions. Les trois cohabitations (gouvernements Chirac (1986-1988), Balladur (1993-1995) et Jospin (1997-2002)) ont rendu acceptable la neutralisation du Président de la République. Le gouvernement Rocard (1988-1991) a démontré qu’il était possible de gouverner, dans une période passablement troublée, sans majorité absolue. Certes, la réforme du quinquennat était censée éviter les pénibles distorsions entre majorité présidentielle et parlementaire mais le fait est que François Hollande a dû supporter durant son mandat les critiques virulentes et en définitive, létales, des « frondeurs », surnom donné à ceux des députés socialistes qui dénonçaient à l’Assemblée nationale la politique qu’il menait.

La situation actuelle se distingue des précédentes en ce qu’aucune majorité claire ne se dégage du scrutin. Ensemble dispose d’un vivier de 246 sièges, très loin du seuil des 289 voix qui lui conférerait la majorité absolue, mais ni la Nupes, ni le RN, à supposer qu’on puisse additionner leurs sièges, ne dépassent le nombre de ceux de la majorité présidentielle. Seul l’apport des voix LR-UDI à cet étrange attelage permettrait de dégager une majorité d’obstruction mais cette hypothèse est largement improbable.

En somme, si la situation est « inédite » comme l’a souligné l’actuelle première ministre, elle n’est pas de nature à empêcher l’exercice du pouvoir. Simplement, cet exercice ne sera plus aussi vertical que jadis. L’Assemblée nationale retrouve une forme d’autorité que le fait majoritaire du quinquennat précédent avait sévèrement entamée. Elle peut devenir le lieu du débat, de l’échange, de la recherche du consensus permettant de dégager des majorités partielles et plurielles.

Par ailleurs, on peut douter sérieusement de la sincérité de ceux qui brandissent aujourd’hui le spectre de la paralysie institutionnelle alors qu’ils militaient hier en faveur d’une dose de proportionnelle, voire de la proportionnelle intégrale, mode de scrutin dont on sait qu’il offrirait à l’Assemblée nationale un visage a minima équivalent à celui qui résulte des présentes élections législatives. On doit au contraire se réjouir de ce laboratoire expérimental qu’est l’Assemblée nouvellement élue. En somme, moins qu’une crise, il s’agit ici d’une mutation que l’épuisement du dualisme droite/gauche rendait inévitable.

Quels risques la nouvelle composition de l’Assemblée nationale fait-elle courir au gouvernement ?

Il faut examiner les moyens juridiques qu’offre la Constitution et les comparer aux possibilités politiques. La loi fondamentale du régime parlementaire demeure la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement, en réalité devant l’Assemblée nationale, l’approbation d’une déclaration de politique générale au Sénat ayant des effets purement platoniques. A ce titre, la première chambre peut rejeter à la majorité simple la question de confiance que le Premier Ministre pose discrétionnairement (article 49 alinéa 1). Elle peut également prendre l’initiative d’engager la responsabilité du gouvernement par le dépôt d’une motion de censure qui doit être adoptée par la majorité des membres composant l’Assemblée nationale (article 49 alinéa 2).

Dans sa physionomie actuelle, l’Assemblée nationale n’est pas en mesure de censurer le gouvernement sauf à imaginer l’impossible alliance des trois oppositions. Elle peut en revanche refuser la confiance au Premier Ministre à la majorité simple, pour autant que ce dernier la sollicite, ce qui entrainerait, conformément à l’article 50, la démission du gouvernement.

L’hypothèse d’une entente très ponctuelle entre la Nupes, le RN et au moins 17 membres des LR n’est pas totalement inenvisageable. Cette alliance ponctuelle pourrait également conduire au rejet de projets de loi ambitieux mais controversés à l’instar de la réforme des retraites. En somme, des majorités de circonstances peuvent bloquer le gouvernement en son action mais ne peuvent le renverser.

Enfin, la composition actuelle de l’Assemblée permettra la mise en œuvre de commissions d’enquête peu encline à l’indulgence à l’égard du gouvernement, les commissaires étant traditionnellement désignés à la proportionnelle des groupes. En définitive, la situation politique résultant des élections législatives confère des virtualités non négligeables au Parlement réinvesti de prérogatives que le fait majoritaire neutralisait habituellement.

De quels moyens d’action dispose l’exécutif pour éviter la paralysie ?

La paralysie est une notion subjective, mais il n’est pas impossible que la composition actuelle de l’Assemblée nationale conduise à certains empêchements. La Constitution de la Vème République offre à l’exécutif certains outils destinés à parer aux difficultés par gros temps. L’article 49 alinéa 3 permet au gouvernement de passer outre l’opposition de l’Assemblée nationale pour peu qu’une majorité absolue ne se ligue contre lui. Largement utilisée par Michel Rocard, cette voie procédurale est limitée depuis la réforme constitutionnelle de 2008 et n’est plus utilisable que pour les lois de finances, les lois de financement de la sécurité sociale et, au plus, un autre texte par session.

Dans l’hypothèse d’un blocage persistant, le Président de la République dispose de deux atouts non-négligeables qui placeraient le Peuple en position d’arbitrer le différend, le referendum et la dissolution. L’article 11 de la Constitution, modifié par les réformes constitutionnelles de 1995 et de 2008 permet au Président, sur proposition du gouvernement, de soumettre au Peuple des projets de loi portant notamment sur des réformes relatives à la politique économique, sociale et environnementale. Le champ est assez vaste pour y inclure certains éléments essentiels du programme politique de l’exécutif.

Quant à la dissolution, elle peut être prononcée par le Président discrétionnairement après consultation du Premier ministre et des Présidents des assemblées. En théorie, la dissolution peut survenir à tout moment, l’article 12 imposant seulement le respect d’un intervalle de douze mois entre deux dissolutions. Gageons toutefois que le Président de la République ne se risquera pas sur cette voie sans respecter un délai de prévenance suffisamment important pour lui éviter la critique brechtienne de la dissolution du Peuple. En réalité, l’appel au Peuple sous ses deux espèces, referendum et dissolution, n’est pas sans péril compte tenu de la configuration politique actuelle. Les expériences précédentes n’ayant guère été satisfaisantes pour les présidents qui en ont fait usage, l’exécutif est ainsi conduit à privilégier le compromis avec une Assemblée nationale qui a conquis par l’onction du suffrage une forme d’autonomie inédite depuis 1958.

Ilustration

Par Pierre Egéa, professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole – Expert au Club des juristes - Club des juristes, premier think-tank juridique français. (23-06-22)

 

 

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